L’intérêt des nutriments

Depuis plusieurs années, on évoque l’intérêt potentiel de certaines vitamines, oligo-éléments et acides gras essentiels dans le traitement de l’infection par le VIH. Le constat clinique prouve que certains d’entre eux sont fréquemment en déficit ou en excès chez les séropositifs, dérèglement qui s’amplifie au cours de la progression de la maladie. Des études sur l’intérêt de ces différents nutriments, faites in vitro en laboratoire, et des études épidémiologiques le confirment. Les déficits ou les excès constituent, soit une cause de progression de la maladie (cofacteur), et il faut les corriger, soit une réponse thérapeutique de l’organisme à l’agression par le VIH, et il faut peut être les amplifier.

Il est frappant de constater que, jusqu’à une époque très récente, très peu de chercheurs se sont penchés sur l’étude des nutriments dans le Sida. Quelques équipes, aux États-Unis, ont certes avancé dans cette voie avec persévérance. Mais les autorités sanitaires, et notamment l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le Sida), en France, n’ont jamais semblé s’intéresser à la question. Et pourtant, de nombreux séropositifs ont utilisé, depuis longtemps, vitamines, oligo-éléments et acides gras polyinsaturés, seuls ou en association avec les traitements officiels. Il apparaît aujourd’hui que cette voie thérapeutique est pertinente ; mais il est nécessaire de donner des directives en vue d’obtenir un résultat optimal. En effet, suivant le type de supplément alimentaire (c’est le cas notamment pour les vitamines A), la dose, les médicaments associés, on peut obtenir des effets bénéfiques, nuls, voire néfastes.

Très récemment, des observations sont venues confirmer l’intérêt d’associer des vitamines au traitement de l’infection par le VIH.

Une étude de 1990, de S. Harakeh et al., établissait de manière rigoureuse qu’in vitro, à des doses non toxiques (100 à 150 mg/ml, soit l’équivalent in vivo d’environ 5 g par jour par prise orale), la vitamine C avait une activité anti-reverse transcriptase similaire à celle de l’AZT (à 1 g par jour) et, de plus, elle inhibait la formation de syncytia.[1]

Mais il a fallu attendre fin 1993 pour qu’une équipe américaine [2] publie les premiers résultats in vivo, chez l’être humain.

Il s’agit d’une des premières études rigoureuses portant sur un nombre suffisant de personnes et d’années. C’est un apport fondamental pour préciser les indications de ces vitamines. Sur un suivi moyen de six à huit années, cette étude détermine le risque d’évolution vers le Sida de 281 séropositifs (asymptomatiques ou ARC) en fonction de leur apport quotidien – par l’alimentation et par des suppléments alimentaires – en protéines, en graisses, en cholestérol, en vitamines A1, B1, B2, B6, B12, en acide folique, en calcium, en fer, en cuivre et en zinc.

Rappelons que l’on a constaté, dans le sang des séropositifs, un déficit en vitamines A1, B6, B12, en zinc, en cholestérol et en acides gras mono-insaturés ; tandis qu’on a observé un excès de vitamine B2, de cuivre, de triglycérides et d’acides gras poly-insaturés. Après étude des différents paramètres, dont les valeurs se trouvent soit dans des fourchettes très étroites -par exemple les vitamines du groupe B (quelques mg par jour)-, soit non précisées -comme c’est le cas pour le calcium, le fer et le cuivre- il apparaît dans une analyse multifactorielle que seuls le zinc, la vitamine PP et la vitamine A jouent un rôle majeur, avec une significativité dans un intervalle de confiance de 95%.

La vitamine C, bien que réduisant fortement le risque, est à la marge de significativité, de même que les vitamines B1, B2 et B6. Pour estimer le risque d’évolution vers le Sida, les auteurs ont pris en compte le nombre de lymphocytes T4 à l’entrée dans l’étude, les traitements éventuels (AZT et prophylaxie de la pneumocystose). La réduction maximale du risque de passage au Sida est obtenue avec la vitamine PP (nom commercial : Nicobion 500®, 500 mg de vitamine PP par comprimé) qui, au dessus de 61 mg par jour, abaisse le risque de 48%.

La vitamine A réduit le risque de 43% dans la fourchette de concentration (13 000-20 000 U.I.) et serait sans effet à des concentrations plus faibles ou plus fortes. De plus, il semblerait que ce soit le bêta-carotène, et non le rétinol, qui provoque la réduction de risque. La vitamine C, à plus de 715 mg par jour, réduit le risque de 41%. Les vitamines B1 (à plus de 4,9 mg par jour), B2 (à plus de 5,9 mg par jour) et B6 (à plus de 5,7 mg par jour) réduisent respectivement le risque de 37, 39 et 40%. L’efficacité et la significativité de ces trois dernières vitamines pourraient être accrues en augmentant fortement la posologie et le nombre des patients inclus dans l’étude.

 

Attention aux posologies dangereuses !

Le zinc, pourtant déficitaire chez les séropositifs et reconnu comme un élément clé pour un bon fonctionnement du système immunitaire, se révèle être un élément dangereux, du moins au stade asymptomatique et ARC. En effet, l’étude américaine révèle qu’à des posologies de plus de 20 mg par jour, qui correspondent à peine au double de l’apport alimentaire, le risque est augmenté de 300%. Il est donc recommandé de réduire la prise de zinc, même dans l’alimentation seule. Ce résultat est d’autant plus surprenant que les mêmes auteurs [3] ont prouvé, dans une précédente étude, que l’apport alimentaire en zinc, que ce soit à plus ou à moins de 14 mg par jour, n’avait pas d’incidence sur le risque de progression vers le Sida -la conclusion est la même pour le cuivre- bien que ce risque soit corrélé avec des taux sériques bas en zinc -et élevés s’agissant du cuivre- indépendants du taux des lymphocytes T4 et des apports alimentaires. Le zinc serait plus un témoin de l’évolution de la maladie qu’un phénomène causal.

Les résultats de cette étude sur les vitamines et les oligo-éléments, bien qu’elle soit incomplète, établissent de manière incontestable que certains oligo-éléments et vitamines constituent des facteurs essentiels de passage à la maladie, puisque, en fonction de leurs apports respectifs, on peut faire varier jusqu’à 600% le risque d’évolution. On ne peut donc que regretter et condamner le silence des médias après la publication de l’article d’A. M. Tang et coll. dans le meilleur journal international d’épidémiologie.

Les mécanismes d’action de ces micronutriments pourraient être liés à leurs propriétés anti-oxydantes, le stress oxydatif étant reconnu comme un cofacteur important dans les maladies virales. Le système de défense physiologique contre les dégâts oxydatifs causés par les radicaux libres emploie, en effet, des enzymes (glutathion peroxydase, qui contient du sélénium, superoxyde dismutases, qui contient du zinc, du cuivre ou du manganèse, catalases) et des piégeurs de radicaux libres (vitamines E et C, caroténoïdes, glutathion).

D’autres études, in vivo, dans le cadre de protocoles, ont permis de préciser l’étude épidémiologique d’A. M. Tang, notamment pour le bêta-carotène qui induit une augmentation des lymphocytes totaux et du pourcentage de T4,[4] et pour la vitamine C dont l’efficacité est renforcée par l’association d’autres anti-oxydants – la N-acetylcystéine notamment.[5]

 

L’importance du sélénium.

Par ailleurs, une étude, in vitro, sur l’intérêt du sélénium mérite d’être mentionnée. Il a en effet été confirmé que le sélénium est essentiel à la croissance du virus et à la destruction de cellules infectées. Les cellules ayant besoin aussi de sélénium pour leur croissance, l’éclatement de leur membrane cellulaire surviendrait suite à l’épuisement de leurs réserves en sélénium, à la suite de la consommation du sélénium par le virus. Cela aurait pour conséquence d’amplifier la dissémination dans l’organisme et la contamination de nouvelles cellules.[6] Ce phénomène permettrait d’expliquer que la période de latence après la contamination est différente d’un individu à un autre. Cette période asymptomatique serait raccourcie en cas d’épuisement des stocks en sélénium des cellules infectées.

Enfin, concernant les graisses alimentaires, on sait, grâce à des études in vitro et aux modèles animaux,[7] qu’un excès de graisses chez le sujet sain réduit l’immunité, et que, pour une même quantité d’apport en graisses, l’immunité diminue lorsque le degré d’insaturation des graisses augmente. Mais on sait aussi qu’une augmentation des acides gras poly-insaturés, ainsi qu’une augmentation des triglycérides et une diminution du cholestérol, observés dans l’infection à VIH, conduit à une augmentation de la viscosité des membranes cellulaires. Cette augmentation est associée à une moindre susceptibilité à l’infection, alors que, paradoxalement, on constate une corrélation entre augmentation des triglycérides sanguins et diminution du nombre de lymphocytes totaux et T4. De plus, une étude in vitro [8] montre que de faibles doses (inférieures à 2,5 micromoles) d’acides gras polyinsaturés, notamment l’acide docosahexanoïque et les acides linolénique et gamma-linolénique, réduisent de plus de 75% la formation de syncytia, cause principale de destruction des lymphocytes T4. Le premier acide est extrait d’huiles de poisson gras (Maxepa, remboursé par la Sécurité sociale), les deux autres sont contenus dans l’huile d’onagre ou de bourrache.

Au terme de cet exposé, qui est loin d’être exhaustif, on doit s’inquiéter de la compétence et de l’intégrité des autorités sanitaires nationales et mondiales, autorités qui n’ont jamais soutenu ce type d’approche thérapeutique et qui sont restées inertes depuis la publication des résultats américains. Cela n’aurait-il pas pour nom homicide involontaire ?

 

Adrien CAPRANI et J. AVICENNE
du collectif des conseillers médicaux de l’association POSITIFS.

 

1 Formation de cellules géantes par fusion de plusieurs cellules conduisant à la mort cellulaire.
2 Alice M. Tang et al, American Journal of Epidemiology 1993, 138, 937-950.
3 Graham N. M-H. et coll., J. of Aids, 4, 976-980, 1991.
4 G. O. Coodley, J. of Aids, 1993, 6, 272-276.
5 R. J. Aviwolla et al, Po B, 3697, Amsterdam, 1992.
6 Taylor et al, J. Medicinal Chemistry, 1994, 37, 2637-2654.
7 Colloque Immunité et nutrition INSERM. Fondation française pour la nutrition, 1986.
8 R. C. Alois et al. 10e conférence internationale de Yokohama 1994 PAO 102.