Effets in vitro et in vivo sur le virus du SIDA

 

Vaccinations contre le virus de l’hépatite B (VHB)

Cheeseman et coll. (The New England Journal of Medecine, May 1996, 1272) ont étudié l’effet de la vaccination contre le VHB chez 10 personnes infectées par le virus du Sida (VIH).

L’augmentation de la charge virale (mesure de l’ARN du VIH) a été constatée chez 7 personnes. Cet effet est apparu transitoirement deux semaines après la vaccination chez 5 de ces 7 personnes chez lesquelles la charge virale a doublé. Pour 2 autres de ces 7 personnes, qui correspondaient à celles ayant plus de 500 lymphocytes T4/mm3, l’augmentation de la charge virale s’est produite à la 4ème semaine et a été multipliée d’un facteur 3.

 

Vaccination contre la grippe

Yerly et coll. (AIDS, 1994, 8, 1503-4) et Staprans et coll. (J. Exp Med, 1995, 182, 1727-37) ont constaté aussi une augmentation de la charge virale du VIH d’en moyenne 5,9 à 7,3 fois la valeur avant la vaccination.

Staprans et coll. ont constaté que dans 83% des cas, la charge virale est multipliée par 3 et survient entre la 1ère et 2ème semaine. Ils ont aussi constaté que les augmentations les plus importantes étaient corrélées avec les personnes présentant un taux élevé de lymphocytes CD4 et celles ayant développé la meilleure réponse vaccinale.

 

Rappel de vaccination contre le tétanos

Stanley et coll. (The New England Journal of Medecine, May 9 1996, 1222-36) ont constaté, chez 13 personnes séropositives ayant reçu une injection de rappel de vaccination contre le tétanos, une augmentation transitoire de la virémie plasmatique du VIH chez toutes ces personnes (de 2 à 36 fois la valeur avant vaccination).

Aucune corrélation n’a été mise en évidence entre le niveau de la virémie et celui des lymphocytes CD4, mais le pic de la virémie et sa résolution sont survenus plus précocement pour les personnes ayant des taux élevés de CD4. Pour l’une de ces personnes, la virémie plasmatique, qui avait présenté un pic au 7ème jour, s’est majorée à nouveau au 42ème jour au moment où elle contracta une pneumonie.
De plus, 10 des 13 personnes ont présenté une augmentation du nombre de cellules circulantes infectées (mesure de la charge virale chez des PBMC) et une diminution modérée des CD4 s’est produite au moment du pic de la virémie plasmatique.

L’augmentation de la charge virale a aussi été mise en évidence au 30ème jour au niveau du tissu ganglionnaire de deux personnes étudiées (les ganglions sont considérés actuellement comme le principal endroit où se réplique le VIH) et chez 9 de ces personnes, le VIH a pu être mis plus facilement en évidence in vitro dans les monocytes du sang périphérique (PBMC) après la vaccination (l’activité de la reverse transcriptase du VIH a été multipliée de 2,2 à 89 fois, soit en moyenne d’un facteur 30 ; cette augmentation survenant 18 jours après la vaccination, donc décalée de 3 jours par rapport au pic de la virémie).
Enfin, chez 7 des 10 personnes non infectées, les lymphocytes de ces personnes, après vaccination, ont été infectés plus facilement, in vitro, par le VIH. Pour l’une de ces personnes, la susceptibilité des cellules fut accrue 3 semaines après la vaccination, au moment où elle contracta une infection aiguë des voies respiratoires hautes.
Par ailleurs, cette équipe de chercheurs (qui comprend le Dr Anthony S. Fauci du NIAID) a étudié deux marqueurs explorant l’état d’activation in vivo du système immunitaire : chez les sujets non séropositifs, le CD 25 et l’HLA DR sont passés de 3 à 12% ; chez les personnes séropositives, le CD 25, dont le taux était bas initialement, n’a augmenté que chez une seule personne, tandis que l’HLA DR, dont le niveau était initialement élevé (22,1%), a augmenté chez toutes les personnes (38,3%).

 

Commentaires

D’après les auteurs des études citées, l’effet de ces trois vaccins s’expliquerait par un mode d’action commun : la vaccination agirait comme une stimulation antigénique qui déclencherait une activation du système immunitaire propice à la multiplication du VIH.

D’après certains des auteurs des études citées, il conviendrait, en raison de leurs résultats, d’utiliser des traitements antiviraux pour contrebalancer l’augmentation transitoire de la virémie apparaissant avec la vaccination. Cela nous semble discutable car cette augmentation de la virémie est une conséquence de l’activation du système immunitaire induite par la vaccination, et non un phénomène causal.

En fait, nous pensons que les résultats de ces auteurs devraient conduire les autorités sanitaires à promulguer de nouvelles recommandations en ce qui concerne les indications des vaccinations pour toutes les personnes, qu’elles soient infectées ou non par le virus du Sida.

Comme il existe un risque d’aggraver l’infection à VIH, les vaccinations devraient être contre-indiquées chez les personnes séropositives, et peut être particulièrement aux stades précoces de l’infection. D’ailleurs, ces vaccinations confèrent une immunité vis-à-vis d’infections qui n’ont aucun retentissement clinique négatif sur l’évolution de l’infection à VIH ; donc, qui n’ont, de ce point de vue, aucune indication chez les personnes séropositives.

Chez les personnes a priori non infectées par le VIH, il conviendrait, quand ces vaccins sont effectués, d’avoir au préalable la certitude que leur test du Sida est négatif. Donc, cela sous-entend que ce test devrait être réalisé à chaque vaccination. L’idéal serait de réaliser une amplification du génome du VIH par PCR (Polymérase Chaine Réaction) pour éliminer les faux négatifs du test du Sida (la positivité du test survenant en général dans les trois mois suivant la contamination, mais dans certains cas ce délai peut être de plusieurs mois) !

Il faudrait aussi prévenir ces mêmes personnes que, si elles se mettent en situation de risque de contracter le VIH par voie sexuelle (non utilisation du préservatif lors d’un rapport non protégé avec une personne séropositive ou avec une personne dont le statut sérologique est inconnu), leur risque d’être contaminé sera accru, comparativement à des personnes non vaccinées.

Ce risque ne semble exister que durant quelques semaines après la vaccination, si l’on se base sur les résultats concernant la virémie ; mais la réalité est, semble-t-il, différente puisque le pic de la charge virale est présent au 30ème jour, et peut-être au delà. D’autre part, rien ne peut exclure que d’autres causes d’activation du système immunitaire puissent survenir et prolonger ce risque.

Il importe de souligner que les résultats des études citées permettent de mieux comprendre pourquoi, contrairement à la transmission du VIH par voie sanguine, sa transmission par voie sexuelle ne se fait pas à 100%. Il importe donc que des études soient réalisées afin d’essayer d’identifier les autres facteurs d’activation du système immunitaire impliqués. Un premier criblage (même à titre individuel) pourrait être réalisé avec l’utilisation de la néoptérine, qui est un marqueur simple à utiliser, pour étudier l’activation du système immunitaire.

Les vaccinations apparaissent donc comme des co-facteurs du virus du Sida, pouvant favoriser le risque de la contamination du VIH et l’aggravation du pronostic des personnes séropositives.

Concernant l’effet de la vaccination contre l’hépatite B sur le VIH, nous pensons qu’il pourrait aussi s’expliquer par une autre raison que la seule activation du système immunitaire. La présence d’une enzyme, la Terminal deoxynucléotidyl transférase (Tdt) a été constatée dans plusieurs préparations de ce vaccin (Beljanski et coll., Med. Sci. Res., 1987, 15, 529-30). La similitude de son mode d’action avec celui de la reverse transcriptase du VIH, sa présence au sein de certains rétrovirus (non démontrée jusqu’à présent pour le VIH), sa capacité d’induire des mutations en nombre, son intervention sur des gènes responsables de l’acquisition des capacités de diversités extrêmes des réponses du système immunitaire ont été certains des éléments qui nous ont conduits à envisager que la Tdt pourrait jouer un rôle dans l’effet de la vaccination contre le VHB sur le VIH (Sida Tout Va Bien, Hors-série N°2, janvier 1996).

Drs J. AVICENNE