un traitement de l’herpès dangereux pour les personnes séropositives, mais aussi pour les personnes non séropositives?

 

Jones et coll. (Science 1995; 267 : 1078-1080) ont étudié, vis-à-vis du sarcome de Kaposi, l’action de trois anti-viraux, utilisés habituellement pour traiter des affections dues à des virus herpès. En effet, des études récentes semblent indiquer qu’un nouvel herpès virus (HHV 8) pourrait être responsable de l’apparition du sarcome de Kaposi chez certaines personnes séropositives.

Cette étude rétrospective a été réalisée chez 20 228 personnes séropositives aux États Unis, pendant en moyenne 14 mois (25ème percentile : 6 mois ; 75ème percentile : 26 mois). Au cours de cette étude, un sarcome de Kaposi a été diagnostiqué chez 1 033 (5%) personnes. 7 717 (38%) avaient reçu au préalable de l’acyclovir, 1 475 (7%) du ganciclovir et 1 320 (2%) du foscarnet.

L’analyse statistique a montré que seul le foscarnet était associé avec une réduction significative du risque de faire un sarcome de Kaposi. Par contre, ils ont trouvé que ce risque était légèrement augmenté avec l’acyclovir. L’analyse, limitée aux seules personnes homosexuelles, a retrouvé des résultats identiques.

D’après les auteurs, l’effet observé avec le foscarnet s’explique en raison de son mode d’action (interaction au niveau des pyrophosphates des sites d’attaches de l’enzyme ADN polymérase), qui est différent de celui de l’acyclovir et du gancyclovir (inhibition compétitive au niveau de l’incorporation de la déoxyguanosine triphosphate dans l’ADN après phosphorylation). L’absence d’effet similaire de l’acyclovir sur le sarcome de Kaposi pourrait s’expliquer par un phénomène de résistance apparu en raison de l’utilisation très répandue de ce médicament dans l’ensemble de la population (NDRL mais cela n’explique pas l’effet opposé observé).

Costagliola et coll. (Lancet 1995; 346 : 578) ont réalisé une étude similaire en France chez 16 229 personnes séropositives pendant, en moyenne, 20 mois (écart interquartile : 13-33). Au cours de cette étude, un sarcome de Kaposi a été diagnostiqué chez 1 106 (7%) personnes (pour 48% d’entre elles, c’était la première manifestation du Sida). Plus des 2/3 des personnes (69%) avaient reçu au préalable un traitement antiviral : 2 626 (16%) de l’acyclovir, 782 (5%) du ganciclovir et 135 (0,8%) du foscarnet.

L’analyse statistique n’a retrouvé qu’une légère augmentation du risque de faire un sarcome de Kaposi avec l’acyclovir. En raison de biais pouvant apparaître au cours de l’analyse statistique d’études rétrospectives, les auteurs pensent que cela pourrait expliquer ce résultat. Mais, alors serait-il possible qu’un autre biais ait été introduit pour expliquer qu’ils aient trouvé, pour le foscarnet, un résultat différent de celui trouvé par Jones et coll. ?

 

Commentaires

Ces résultats, bien que préliminaires, sont inquiétants.

Le sarcome de Kaposi est une affection opportuniste du Sida bien particulière. Il s’agit d’une pathologie qui n’est pas spécifique du Sida, qui concerne surtout le sexe masculin et qui est particulièrement fréquente chez les homosexuels. Au fil des années, il est apparu que le déficit immunitaire occasionné par le virus VIH était insuffisant pour expliquer son émergence chez certaines personnes séropositives. L’intervention d’un agent infectieux transmissible par voie fécale a été avancée. Récemment, c’est un nouvel herpès virus qui a été proposé : des séquences de l’HHV8 ont été mises en évidence au sein de lésions de Kaposi de personnes séropositives, mais aussi des autres formes de Kaposi (africains, chez lesquels le sarcome de Kaposi existe à l’état endémique et transplanté). On peut donc maintenant se demander si l’acyclovir ne pourrait pas être aussi un possible facteur associé, qui expliquerait l’émergence de cette pathologie.

Au fil des années, il est apparu que l’herpès ne constituait pas un risque évolutif pour l’infection à VIH. Son caractère bénin est aussi la règle dans le reste de la population (sa gravité, relativement rare, concerne les fœtus de femmes enceintes, en cas d’herpès génital primaire, et certains immunodéprimés). Cependant, en raison de la gène qu’il peut occasionner, l’utilisation de l’acyclovir s’est fortement répandue depuis les années 1970, souvent par auto-médication, et aussi bien chez les personnes séropositives que chez les autres.

Concernant l’infection à VIH, une étude a certes montré que l’utilisation de l’acyclovir, associé à la zidovudine, permettait d’améliorer la survie des personnes aux stades SIDA et de pré-SIDA. Nous souhaitons cependant mentionner que l’essai clinique réalisé par le laboratoire Wellcome, débuté en 1986 et dont le but était d’étudier, chez des personnes séropositives au stade ARC et SIDA, les effets de l’AZT versus AZT + acyclovir, n’ont donné lieu qu’à des publications partielles des résultats en 1991 et 1993. Les résultats concernant un groupe d’une soixantaine de personnes atteintes de sarcome de Kaposi n’ont jamais été publiés !

Concernant le reste de la population, à savoir les personnes non séropositives, aucun effet secondaire majeur n’a été notifié jusqu’à présent. Cependant, si l’effet de l’acyclovir sur le sarcome de Kaposi se confirmait, on pourrait se demander si un tel résultat ne pourrait pas avoir aussi une incidence pour les autres personnes, et intervenir dans l’apparition de certaines pathologies que l’on n’aurait, jusqu’à présent, pas mis en relation avec la prise d’acyclovir.

Tant qu’aucune information n’aura infirmé ces données, il paraît prudent de limiter l’utilisation de l’acyclovir uniquement aux personnes séropositives, et plus précisément à celles atteintes d’encéphalite herpétique, de varicelle et de zona invalidant.

Drs J. Avicenne