Sur les aspects cliniques et le traitement de l’infection par le VIH

 

Un congrès de plus, pour quelles avancées ?

Le congrès européen d’Athènes, à deux ans du précédent congrès de Lisbonne en 1999 et à moins d’un an du congrès mondial à venir, à Barcelone en juillet prochain, a permis de faire un point-bilan sur les traitements et protocoles en cours, leurs limites avec leurs effets secondaires de plus en plus fréquents et divers avec le recul, et quelques perspectives pour le futur. Il s’est agi d’un congrès commercial, politiquement correct, où les différents groupes pharmaceutiques, sponsors du congrès, ont pu promouvoir leurs produits, et ont probablement imposé un programme scientifique (répartition entre communications orales et posters) qui ne fait pas émerger de manière claire des voies nouvelles. Aucune place n’a été laissée aux traitements alternatifs/complémentaires pouvant concerner non seulement les pays en voie de développement, mais aussi les pays riches, en vue de retarder chez les asymptomatiques, qui ont encore une immunité bien conservée, l’instauration d’un traitement agressif à vie.
Il y a également eu très peu d’associations de lutte contre le Sida présentes, tant en spectateur qu’en acteur, à l’exception notable de l’EATG qui a fait une présentation sur la place-clé du patient dans le dispositif de lutte contre le Sida et notre participation, en qualité de scientifiques, à une contribution sur le vaccin (travaux du Dr MKG Tran).

Les antirétroviraux ont constitué la part essentielle des présentations orales du congrès et la totalité des satellites organisés par les firmes.
Les anciennes molécules sont encore très présentes, avec différents protocoles visant à les maintenir en bonne place sur les marchés, avec une diminution du nombre de prises (une prise par jour au lieu de trois pour l’indinavir, libération prolongée pour le d4T) et différents protocoles tendant à montrer la supériorité d’une combinaison par rapport à une autre, pas très convaincants et sans grand intérêt.
Parmi les antiviraux déjà sur le marché, trois antiprotéases, le lopinavir (Kaletra), l’Amprenavir et l’Efevirenz ont montré leur intérêt en cas d’impasse thérapeutique, bien que ce dernier donne lieu à des troubles neurologiques (troubles du sommeil, hallucinations, maux de tête, état dépressif, …) chez plus de 50% des patients. Toujours au niveau des antiprotéases, un nouveau venu, l’Atazanavir, pourrait rapidement remplacer ses concurrents du fait qu’il n’induit pas de troubles du métabolisme lipidique.
Parmi les anti-reverse transcriptase, deux nouvelles molécules, l’une nucléosidique, de Gilead, le Ténofovir, l’autre non nucléosidique, de Tibotec-Virco, le TMC125, sont efficaces contre les souches résistantes. Le TMC125 semble le plus prometteur. À titre d’exemple, sur un petit essai de 12 patients n’ayant pas reçu de traitement antérieurement (patients naïfs), un traitement d’une semaine, en monothérapie, avec deux prises par jour, réduit de 2 log la charge virale ! Avec le Tenofovir, en monothérapie, un essai en phase III sur 552 patients ayant des virus mutés sur la protéase et sur la reverse transcriptase, montre qu’à 6 mois, les 2/3 des patients ont une charge virale inférieure à 400 copies/ml.
Au niveau de l’inhibiteur de fusion T-20 de Roche, rien de bien nouveau. La phase III est toujours en cours, avec une nouvelle formulation qui permettra une réduction du nombre journalier d’injections sous-cutanées.
Enfin, nous tenons à signaler un nouvel antiviral russe, le ferrovir, n’appartenant pas aux classes déjà connues (action par le biais de certaines cytokines et d’un nouveau facteur cellulaire), relégué à tort parmi les centaines de communications-poster. Il s’agit de DNA de saumon obtenu par sonication et complexé avec du fer à l’état ferrique. Dans un essai, en monothérapie, sur 30 patients au stade 3 du CDC, on observe au bout de 6 mois une chute de 2 log de la charge virale et une augmentation de 33% du nombre de CD4. Cet antiviral est de plus actif en cas de co-infection par le virus de l’hépatite C et par le virus Herpès. En outre, et surtout, son coût est extrêmement bas et le rend par conséquent accessible aux pays en voie de développement.

Concernant les traitements intermittents : cette stratégie, qui avait été prônée par l’association Positifs dès 1998, avant qu’elle n’apparaisse dans des essais cliniques, visait à contrôler la virémie, en l’absence de traitement antirétroviral, par une auto-vaccination par les propres virus du patient au cours du rebond viral, lors de l’interruption. Elle devrait permettre également, en diminuant l’exposition aux antiviraux, de limiter les effets secondaires et le coût. Elle a trouvé aujourd’hui une application inattendue : la réversion des mutations du virus induites par la pression médicamenteuse. Rappelons à ce sujet que Positifs a depuis longtemps insisté sur l’intérêt de l’utilisation des anti-mutagènes pour limiter les mutations induites par les antiviraux (cf. article C 39 ), mais à ce jour aucune recherche n’est développée dans cette direction.
À Athènes, seuls quelques petits essais ont été présentés, les grands essais en cours seront probablement présentés à Barcelone. Ils concernent uniquement, et on peut le regretter, des patients ayant un bilan immunitaire bien conservé Ainsi l’essai hispano-suisse, présenté par le Pr B.Hirschell, concerne 133 patients ayant un nombre moyen de Lymphocytes CD4 de 770, un rapport CD4/CD8 >1 et une charge virale inférieure à 50 copies/ml. Le protocole consiste en 4 cycles : 2 semaines d’interruption + 8 semaines de traitement, au bout desquelles tout traitement est suspendu si la charge virale reste inférieur à 5 000 copies. Sur les 90 patients qui arrêtent le traitement selon ce critère, on observe une chute des CD4 à une valeur de 577 à la semaine 52, corrélée à la charge virale mesurée à ce moment, suivie par une stabilité entre la 52ème et la 64ème semaine. Il apparaîtrait également que ces traitements intermittents réduisent les troubles lipidiques. Le suivi des patients de cet essai sera maintenu sur de plus grandes durées, et des variantes du protocole, avec des périodes d’interruption plus longues, sont envisagées.
Une autre étude italienne s’est intéressée à un groupe hétérogène de 32 patients qui ont interrompu leur traitement durant 21 semaines en moyenne. Ils avaient 638 CD4 en moyenne au départ et se retrouvent avec 417 CD4 à la fin de la période d’arrêt. Cependant, 44% du groupe voient une stabilité ou une légère augmentation de leur nombre de CD4, tandis que leur charge virale ne s’accroît pas trop.
Un autre essai effectué sur des enfants (10 ans d’âge moyen), avec des périodes d’interruption de 6 à 24 semaines répétées 2 à 3 fois, et ayant au départ 1 200 CD4 environ, ne provoque qu’une chute d’environ 20% des CD4 et une augmentation de 0,8 log de la charge virale. Enfin, une étude concernant des patients traités précocement lors de la primo-infection, montre qu’ils peuvent majoritairement suspendre leur traitement avec contrôle de leur charge virale pendant plusieurs années (3 ans de recul de l’étude).

Concernant la réversion des mutations, une étude française montrant l’intérêt de l’arrêt du traitement a été présentée dans le cas de 33 patients en échec thérapeutique. Sur 30 des 33 patients chez qui génotypage et phénotypage ont pu être effectués, on a observé des mutations sur la reverse transcriptase et sur la protéase. Un arrêt thérapeutique de 4,5 mois a été planifié, durant lequel les patients ont perdu 140 CD4 et vu leur charge virale augmenter de 0,4 log. Au départ, il y avait des mutations sur la reverse transcriptase de tous les patients et des mutations sur la protéase de 23 d’entre eux. Durant l’interruption, on a constaté la réversion de 1 à 6 mutations sur la reverse transcriptase chez 19/30 des patients, la réversion de 1 à 4 mutations sur la protéase de 13 des 23 patients. 10 patients ont vu la réversion de la totalité de leur mutation, tandis que 6 patients n’avaient aucune réversion. Une quadrithérapie, réinstituée après cet arrêt, s’avère à nouveau efficace (à trois mois, chute de 2 log de la charge virale et augmentation de 161 CD4).

De ces traitements intermittents, on peut tirer différentes conclusions :
Lorsque le traitement antirétroviral contrôle la réplication, l’intermittence ne permet pas d’éradiquer le virus, mais permet à une majorité de patients de suspendre leur traitement (période de recul de 6 mois pour le moment), au prix d’une perte significative de lymphocytes CD4 ; ce qui exclut de ces protocoles les patients ayant un nombre trop bas de CD4.
Il est impératif que, durant la suspension, le nombre de CD4 reste supérieur à 200 afin d’éviter les infections opportunistes. On pourrait cependant envisager, pour les patients ayant un nombre trop bas de CD4, l’utilisation préalable d’un immunomodulateur, l’IL2 notamment, avant de les inclure dans de tels protocoles. Avec un suivi rapproché des patients, il nous semble qu’un seuil de 350 à 400 CD4 au départ serait suffisant pour des protocoles intermittents. Il serait par ailleurs hautement souhaitable que des stratégies autres que celle visant à interrompre définitivement le traitement antiviral, mais simplement à l’alléger et à limiter les effets indésirables, soient développées ; à savoir l’intermittence continue, à l’image de celle présentée il y a plus d’un an par une équipe américaine, qui consistait en une alternance d’une semaine de traitement suivie d’une semaine sans traitement.
Reste à réaliser les études pour optimiser les durées de traitement et d’arrêt (fixes ou variables et déterminées par des seuils de charge virale ou de valeur de CD4, ou une combinaison des deux), en vue d’obtenir la meilleure efficacité, compliance, confort, coût, et minorer les effets indésirables.

Dans le cas d’échec thérapeutique et en l’absence d’alternative médicamenteuse autre que le GIGHARRT (3-4NRTI + 1NNRTI + Hydroxyurée + 3 antiprotéases dont ritonavir et amprenavir, protocole ANRS 097), d’efficacité et de cohérence scientifique plus que douteuse, l’interruption du traitement permet dans une majorité de cas, par la réversion des mutations qu’elle induit, de retrouver une efficacité avec les antiviraux utilisés antérieurement. Par contre, lorsqu’il existe une alternative médicamenteuse, mais que le patient possède encore un système immunitaire le mettant à l’abri des infections opportunistes, nous pensons que l’interruption peut avoir un intérêt, en gardant en réserve pour plus tard la nouvelle molécule.

Concernant l’utilisation des cytokines, seules deux études sur l’interleukine 2 ont été présentées, ainsi qu’une étude sur l’interféron alpha 2b. Ce dernier, sous forme pré-glycosilée permettant une seule injection en sous-cutané par jour, montre en phase I, sur 21 patients, en monothérapie pendant 28 jours, une décroissance biphasique de la charge virale et une augmentation notable des CD4, d’autant plus forte que la valeur de base est élevée. Les phases II et III à venir sur cette cytokine lui permettront de trouver une place dans l’arsenal thérapeutique déjà très large. Pour l’IL2, un petit essai sur 68 patients, avec des injections sous cutanées de 7,5M UI, 2 fois par jour, selon des cycles standard durant 6 mois (cf. article C.46 de ce serveur) confirme les résultats déjà publiés. De plus, il classe et quantifie les très nombreux effets indésirables.
L’autre présentation sur l’IL2 concerne le gros essai ESPRIT, qui implique 1 884 patients recevant aussi 7,5M UI, 2 fois par jour. La présentation faite à Athènes s’est limitée à proposer un paramètre prédictif de l’augmentation du nombre de CD4. Il est regrettable que ce protocole, qui utilise des doses massives d’IL2, n’ait pas été rectifié en cours de route, dans la mesure où il a été établi, il y a plus d’un an, qu’une posologie 5 fois plus faible fournit à peu près les mêmes résultats, en réduisant évidemment la sévérité des effets indésirables, repoussoir pour l’utilisation de l’IL2 par les patients.
À son terme, cet essai permettra de dégager les bénéfices cliniques à long terme pour les patients de ce genre d’approche, le bénéfice pour les patients maintenant un nombre bas de CD4 en dépit d’un contrôle antirétroviral, et à risque d’infections opportunistes étant évident.

Les effets indésirables ont donné lieu à de très nombreuses communications orales et posters : notamment troubles du métabolisme lipidique, troubles cardio-vasculaires, troubles du métabolisme osseux, troubles sexuels, troubles neurologiques ; toxicité hépatique, rénale, pancréatique, de sorte que l’on s’achemine vers le constat que le décès des sidéens est de plus en plus la conséquence des traitements, et non plus des infections opportunistes.
Concernant les lipodystrophies, deux solutions ont été présentées ; l’une consistant à injecter au niveau des joues la propre graisse du malade, prélevée sur un autre site, l’autre à injecter de l’acide polylactique. Pour ce dernier traitement, non remboursé par la Sécurité Sociale, et qui coûte 30 000 FF pour 5 injections, avec des résultats très satisfaisants sur le plan esthétique, il n’y a qu’un an de recul, et il est probable que le traitement est à renouveler du fait que ce polymère est biodégradable.

Concernant les infections opportunistes et les infections associées, beaucoup de travaux sur la tuberculose et les maladies sexuellement transmissibles, l’hépatite C (mais rien sur l’hépatite G, nouvelle piste intéressante pour freiner l’infection par le HIV), peu de choses sur les lymphomes et le sarcome de Kaposi.

Parmi les autres présentations, citons les guides de recommandations, au niveau des traitements et des tests de résistance, qui commencent à s’harmoniser au niveau européen, quelques essais sur le HIV2 et une mise au point sur les essais vaccinaux en cours.

Les essais vaccinaux tant préventifs que curatifs, ont constitué le parent pauvre de ce congrès, alors que le vaccin constitue le but ultime de la recherche sur le Sida.

La raison n’en serait-elle pas la manne financière, illimitée pour les firmes, que constitue la vente d’antiviraux et des médicaments nécessaires pour pallier les effets secondaires, pour un traitement chronique, et une volonté délibérée de ne pas voir un vaccin sur le marché trop tôt ?
On doit cependant reconnaître que, en dépit des difficultés inhérentes à la spécificité du HIV, 30 candidats vaccins ont été testés depuis 1987 dans 60 essais de phase I/II, sur 10 000 volontaires en bonne santé. Cette première génération de vaccins est basée sur les antigènes de l’enveloppe (gp120), qui induit des anticorps neutralisant. L’efficacité de ces vaccins est testée en phase III aux USA et en Thaïlande ; les résultats seront connus en 2003. D’autres concepts vaccinaux visent à induire une immunité à médiation cellulaire contre des protéines structurales et de régulation.
Mentionnons que Positifs a proposé un vaccin dirigé contre le motif AQWD de la boucle post-V3 de la gp120, qui se retrouve identique sur le récepteur CCR5, qui pourrait protéger 15% de la population et qui pourrait être mis en œuvre rapidement.
Positifs a également présenté un travail sur une homologie entre la protéine NEF, qui est dupliquée dans la démence du sida, et la protéine E1F 2B, mutée dans la maladie d’Alzeimer familiale, qui pourrait déboucher à terme sur un vaccin pour cette pathologie.

Concernant la procréation, signalons une communication montrant qu’il n’y a pas de transmission mère-enfant lorsque la charge virale de la mère est inférieure à 50 copies/ml, et une autre sur la possibilité de décontaminer en toute sécurité le sperme.

Nous terminerons cet exposé avec deux informations qu’il nous paraît utile de signaler. L’activité physique n’aurait pas d’effet sur la charge virale ; ce qui ne semble pas très cohérent avec des publications plus anciennes qui établissaient que l’exercice physique améliorait le rapport CD4/CD8.

Des parasites intestinaux, les helminthes, fréquents en Méditerranée et en Afrique, ont une action favorisant la prolifération virale. Ainsi dans un essai clinique sur 57 patients, l’éradication du parasite par l’albendazole provoque une chute significative de la charge virale de 0,8 log. Il serait urgent que l’OMS et les ONG, présentes dans les pays frappés par le Sida, utilisent aussi cette arme peu coûteuse pour ralentir l’épidémie.

Drs AVICENNES
Conseillers médicaux de l’association Positifs.