Journées Internationales de Biologie 2009

Cnit La Défense, Paris.
Thématique Cancer.  Poster 141

TRAN Guy Mong Ky, Gerbaud Laurent.
Université d’Auvergne, Santé Publique, Hôtel-Dieu, 63 000 Clermont-Ferrand, France.

Le cancer du foie a de nombreuses causes environnementales: Virus (VHB et VHC), alcool sur foie cirrhotique, et mycotoxines (aflatoxine B1 dans la farine d’arachide en Afrique, luteoskyrine dans le riz en Asie) ou des facteurs hormonaux (traitement par les androgènes ou les oestrogènes, par le biais d’une péliose) sur foie non cirrhotique (Mathieu D, 1996).

Nous étudions ici le rôle de la dioxine, considéré comme le plus puissant cancérigène au monde, en raison du modèle expérimental du rat qui présente dans 100% des cas un cancer du foie après exposition à la dioxine (dioxines, INSERM, 2000) et du lapin qui présente des lésions hépatiques (étude interne faite par Dow Chemicals en 1965, citée par Robin M-M, 2009).

Chimiquement, la dioxine est par ses chlores proche du tétrachlorure de carbone CCl4 très hépatotoxique et du chlorure de vinyle monomère (qui donne un cancer du foie). Du fait de son hydrophobie, elle s’accumule dans le tissu adipeux hépatique, en particulier en cas de stéatose hépatique, qui constitue un facteur de risque de cancer du foie. Le mécanisme d’action cancérigène est une séquestration de la dioxine par les cytochromes P450 et une accumulation hépatique, avec une atteinte mitochondriale, une inhibition de l’apoptose et un stress oxydatif. Elle induit aussi l’oncogène c-Myc, qui est un activateur transcriptionnel de la télomérase (Sarkar P, 2006), dont l’importance dans la cancérogénèse a été couronnée par le Prix Nobel de Médecine 2009. La voie qui passe par c-Myc et qui augmente la télomérase est indépendante du récepteur AhR de la dioxine. Une étude de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) autour de 4 incinérateurs français montre que la fréquence du cancer du foie y est augmentée (Fabre P, 2008); au Vietnam, le risque estimé par l’Odds Ratio (OR) est multiplié par 8,8 (Intervalle de Confiance à 95% : 1,9-41) après exposition à l’Agent Orange (dioxine) (Cordier S, 1993) et à Seveso le risque est de 3,7 chez les femmes et de 2,2 chez les hommes (Pesatori AC, 1991).

Objectifs

Présenter des faits nouveaux pouvant remettre en cause l’innocuité supposée des incinérateurs de dernière génération qui n’émettent que de très faibles quantités de dioxine par rapport aux anciens modèles, et auxquels le Grenelle 2 en 2008 a donné l’aval (en France sont impliquées les villes de Clermont-Ferrand, Fos et Halluin).

Méthodes

Il s’agit d’une étude d’épidémiologie géographique menée dans les pays pour lesquels on dispose d’informations à la fois sur les incinérateurs (données du CNIID)et les registres de cancers (dont le foie) en terme d’ incidence standardisé selon l’âge pour 100 000 habitants ou ASR(W) Age-Standardized (World) Rates (Parkin DM, IARC 2003) : Australie, Royaume-Uni, France (12 départements) et Japon. Le Vietnam est inclus à cause de l’Agent Orange (dioxine).

Résultats

Au Vietnam, l’incidence est de 33,5 à Ho Chi Minh ville et de 25,2 à Hanoï. En France, pays d’Europe où il y a le plus grand nombre d’incinérateurs (300, dont 180 arrêtés pour non-conformité), les chiffres sont intermédiaires:

Incidence du
cancer du foie
Nombre
d’incinérateurs
Tonnage de déchets
traités par heure
Isère 14,1 8
(dont Gilly sur Isére)
50
Bas-Rhin 13,9 6 54
Haut-Rhin 13,9 2
zone industrielle
12
Côte d’Or 12,5 2 23,2
Calvados 11,9 2 16
Doubs 10,4 5 21
Somme 9,5 1 à Doulens
(arrêté)
0
Manche 6,7 0 0
Hérault 5,3 1 5,6
Tarn 5,3 0 0
La Réunion 5,1 0 0
Martinique 4,6 0 0

Le Japon a le plus grand parc d’incinérateurs au monde (>1000), son taux de dioxine est 10 fois celui des autres pays industrialisés avec une incidence record de 22,5 à 56,4. A l’inverse, le Royaume-Uni (qui a opté pour la décharge, avec seulement 23 incinérateurs) n’a qu’une incidence de 2,5. L’Australie qui n’a pas d’incinérateur est à 4,8 (tous ces pays ont une prévalence d’hépatite B comparable entre 2 et 7%). Une courbe tonnage/heure versus incidence du cancer du foie montre une linéarité dose-dépendante.

 

Conclusion

Contrairement à la décision du Grenelle 2 sur l’environnement, il faut « sortir » de l’incinération : La Martinique (0 incinérateur) n’a qu’une incidence de cancer du foie de 4,6,   alors que le Japon à Osaka a une incidence de 56,4 (bien que le rôle de l’hépatite C comme co-facteur au  Japon soit important). Il ne faut pas installer de nouvel incinérateur et détruire la dioxine par une torche à plasma, comme le font déjà les Américains et les Canadiens, pour les incinérateurs existants, même récents. La législation française et européenne devrait s’aligner sur celle de l’Environment Protection Agency (EPA) qui considère que la dioxine est un cancérigène sans seuil ou à seuil extrêmement faible , de l’ordre du fg (femtogramme). Devant tout cancer du foie, il faudrait doser systématiquement la dioxine  dans le sérum et le tissu adipeux qui constitue le réservoir de cette substance hydrophobe : En particulier la dioxine s’accumule pendant environ 30 ans (sa demi-vie est d’environ 7 ans), sans être éliminée, dans le tissu adipeux hépatique en cas de stéatose hépatique. En effet, une étude récente a montré qu’un des facteurs de cirrhose et de cancer du foie est la stéatose hépatique non alcoolique (Ratziu V, 2009). On comprend qu’en cas de stéatose hépatiquela dioxine se retrouve à concentration élevée et qu’elle induise des cancers du foieLe resvératrol, polyphénol de la peau de raisin rouge, responsable du « Paradoxe français », est un antagoniste de la dioxine par inhibition compétitive et pourrait être un espoir de traitement (Savouret J-F, 2006). Les nombreux cancers et malformations congénitales  dûs à la dioxine chez le rongeur sont extrêmement inquiétants, car dans le cas du cancer du foie chez  le rat et le lapin, la barrière d’espèces a été franchie et il y a eu confirmation chez l’homme. La France manque cruellement de registres du cancer (par exemple dans le Nord-Pas-de-Calais très industrialisé) en dehors des seuls 12 départements étudiés ici.

Références

  • CNIID (Centre National d’Information Indépendante sur les Déchets) cniid.org
  • Cordier S, Le TB, Verger P, Bard D, Le CD, Larouze B, Dazza MC, Hoang TQ, Abenhaim L. Viral infections and chemical exposures as risk factors for hepatocellular carcinoma in Vietnam. Int J Cancer. 1993, 55: 196-201.
  • Dioxines dans l’environnement. Quels risques pour la santé ? Editions INSERM, 2000.
  • Fabre P, Daniau C, Goria S, de Crouy-Chanel P et Empereur-Bissonnet P. Étude d’incidence des cancers à proximité des usines d’incinération d’ordures ménagères – Synthèse. Saint-Maurice (Fra) : Institut de veille sanitaire (InVS), 2008, 25 p. Disponible sur : www.invs.sante.fr
  • Mathieu D. Les cancers primitifs du foie. 1996.  (http://www.med.univrennes1.fr/cerf/edicerf/DIGESTIF/9DG.html)
  • Parkin DM, Whelan SL, Ferlay J et al. (Ed). Cancer Incidence in Five Continents, IARC Publication n° 155, Vol VIII, Lyon 2003, 782 p
  • Ratziu VPoynard T.  Stéatohépatite métabolique : 30 ans de recherches qui ont changé la NASH. Gastroenterol Clin Biol. 2009, 33: 850-8.
  • Robin Marie-Monique. Le monde selon Monsanto. De la dioxine aux OGM, une multinationale qui vous veut du bien. Arte Editions, Editions La Découverte, 2009.
  • Sarkar P, Shiizaki K, Yonemoto J, Sone H. Activation of telomerase in BeWo cells by estrogen and 2,3,7,8-tetrachlorodibenzo-p-dioxin in co-operation with c-Myc. Int J Oncol. 2006, 28: 43-51.
  • Savouret J-F, Casper RF, Poirot M. Le resvératrol et ses dérivés. Une nouvelle famille d’antagonistes du récepteur AHR. L’actualité chimique 2006 Déc n° 303 : 34-6.