Quels liens ?

Dès la découverte du virus du Sida (VIH), il y a un peu plus de 11 ans, la quasi-totalité des chercheurs s’engouffraient sans hésitation, tels les moutons de Panurge, derrière le dogme : VIH, cause unique, nécessaire et suffisante de la maladie. Ce dogme allait entraîner un développement sans précédent de la virologie et de l’immunologie, mais sans retombées thérapeutiques vraiment significatives au niveau du Sida. La contrepartie de ce choix totalitaire, maintenu sous la pression des fabricants d’antiviraux et grâce à la corruption par ces mêmes fabricants de nombreuses équipes de recherche et de services hospitaliers, a été le blocage de toutes les autres voies thérapeutiques fondées sur des causes de la maladie autres que le VIH.

Le premier résistant au dogme majoritaire a été P. Duesberg, grand biologiste américain, qui a nié dès le début, au risque de se voir mis à l’index de la communauté scientifique et de se voir supprimer tous ses crédits de recherche, une relation quelconque entre le VIH et le Sida, de manière également sectaire. Ses arguments ont cependant été suffisamment solides pour maintenir un débat permanent avec quelques rares chercheurs ouverts et intègres du camp majoritaire, dans les grandes revues scientifiques internationales.

Aujourd’hui, la « vérité majoritaire » se situe entre ces deux thèses extrêmes, des cofacteurs étant considérés nécessaires, ou même indispensables pour certains, pour passer de la séropositivité asymptomatique à la maladie Sida. Ces cofacteurs sont cependant loin d’être tous identifiés, pas plus que n’a été déterminée leur incidence réelle dans la progression vers le Sida. Citons, parmi les cofacteurs reconnus : les mycoplasmes dont le rôle in vitro a été démontré par l’équipe de L. Montagnier, certaines carences en vitamines, et le stress.

Nous nous limiterons dans cet article au rôle du stress qui, à la lumière d’une analyse critique de la littérature scientifique, nous paraît être un cofacteur majeur. En effet, le séropositif est soumis de manière permanente à l’information : séropositivité = mort à plus ou moins brève échéance, martelée sans vergogne (et de façon criminelle s’il était établi, de manière irréfutable, même sans preuve scientifique rigoureuse, que le stress constitue le cofacteur majeur) par tous les médias, le corps médical et la plupart des associations de malades. À ce stress chronique de la peur de la mort s’ajoute la peur du regard des autres et du rejet, la peur de ne plus pouvoir aimer, ni être aimé, la peur de perdre son emploi, un sentiment de culpabilité chez certains, la peur de se retrouver dans le groupe « placebo » d’un essai thérapeutique, et, bien sûr, toutes les autres causes de stress des personnes bien portantes séronégatives. Dans un pareil contexte, nous pensons que les différentes techniques, bien codifiées et acceptées par la communauté psy [1] pour explorer les perturbations psycho-émotionnelles, qui sont nécessairement très réductrices, sont peu adaptées pour cerner toutes les nuances des perturbations du conscient et de l’inconscient chez le séropositifs.

Les relations entre les systèmes nerveux, endocrinien et immunitaire sont complexes, subtiles et encore très mal connues. Dans le cadre de ces interrelations, la psychoneuro-immunologie,[2, 3] qui a un peu plus de dix ans, vise à déterminer les mécanismes par lesquels des perturbations psychologiques ou émotionnelles peuvent affecter fortement la susceptibilité à de nombreuses maladies, infectieuses ou non, ainsi que leur évolution, et vise à ouvrir des voies thérapeutiques nouvelles, non nécessairement médicamenteuses, pour de nombreuses maladies. Cependant, le développement de stratégies thérapeutiques non médicamenteuses, de gestion du stress notamment, se heurte à l’opposition de l’industrie pharmaceutique et au mépris des somatothérapeutes qui lui sont inféodés et qui sont, pour la plupart, totalement ignares des découvertes récentes en psychoneuro-immunologie.

De plus, et surtout, la reconnaissance par la communauté scientifique du rôle essentiel joué par les neuromédiateurs dans la plupart des mécanismes pathologiques, impliquerait une remise en cause radicale de la recherche médicale, entre autre au niveau du médicament où l’in vitro constitue le passage obligé préalable. En effet, si l’on considère une maladie touchant plus spécifiquement l’un des trois systèmes (système immunitaire pour la séropositivité au VIH par exemple), et compte tenu de leurs très fortes interrelations, il est vain et vaniteux de vouloir, à partir d’études in vitro sur un seul système (souvent réduit à quelques lignées cellulaires pas très représentatives du système, et à quelques souches virales de laboratoire qui ne le sont plus guère), faire un premier tri de molécules potentiellement efficaces.

La communication entre les trois systèmes interdépendants [2, 6] se fait par l’intermédiaire de facteurs humoraux qui sont des messagers chimiques de nature variée (stéroïdes, amines, peptides, opiacés) véhiculés par le sang, la lymphe et le liquide céphalorachidien, ainsi que par l’innervation directe des organes lymphoïdes, thymus et rate notamment. Même si chaque système produit préférentiellement un type de messagers et de récepteurs, chacun est capable de synthétiser aussi, à des degrés divers, les messagers et les récepteurs des deux autres systèmes. La coordination des trois systèmes et l’adaptation au stress serait assurée par la glande pinéale, ou épiphyse,[4, 5] en conjonction avec des substances opiacées endogènes et leurs récepteurs. Rappelons que cette glande endocrine synthétise et secrète, avec un rythme circadien, une hormone appelée mélatonine en réponse à l’information lumière (synthèse effectuée pendant la période d’obscurité), synthèse qui peut être perturbée par les ondes électromagnétiques (lignes de transport du courant électrique), les champs magnétiques, et le froid. La production de mélatonine est également modulée par l’interféron gamma.

Les réponses hormonales au stress les plus connues sont la production de glucocorticoïdes, par l’activation de l’axe hypothalamus-hypophyse-glandes surrénales, et la production de catécholamines (adrénaline et noradrénaline), par l’activation du système hypothalamus-système nerveux sympathique. Les glucocorticoïdes, le cortisol (= hydrocortisone) notamment, sont immunosuppresseurs. Quant à la noradrénaline, elle réduit la taille du thymus et abaisse le nombre de lymphocytes T4 et T8 en induisant leur apoptose (mort programmée précoce). La mélatonine, dont la synthèse peut aussi être perturbée par le stress, et qui possède des propriétés immunostimulantes et anti-stress, est capable de s’opposer à l’effet immunosuppresseur des glucocorticoïdes, en induisant notamment la synthèse par les lymphocytes T4 activés de molécules de nature opiacée, de type b-endorphine et métenképhaline, qui vont agir respectivement sur le thymus et sur la rate.[5] Ces peptides opioïdes (enképhalines et endorphines) ont d’abord été reconnus comme agissant sur le seuil de la douleur et sur l’humeur, avant que leur action immunostimulante ne soit étudiée, en particulier au niveau de l’activité « natural killer ».[7]

Dans le contexte de la pathologie VIH,[6] on a constaté au niveau hormonal une augmentation du cortisol, paradoxalement avec une diminution de l’ACTH (hormone hypophysaire induisant pourtant la sécrétion de cortisol). Le cortisol inhibe la réaction immunitaire et active, à la fois, la prolifération virale. À notre connaissance, la mélatonine n’a pas fait l’objet d’études détaillées chez les séropositifs ; on sait néanmoins que sa synthèse est fortement perturbée puisque le cycle circadien tend à disparaître avec la progression de la maladie. Il semble en être de même pour les endorphines.[8] Au niveau des lymphokines, l’interleukine-2, qui est immunostimulante, est fortement diminuée, alors que l’interféron g, qui est également immunostimulant, est fortement augmenté.

Concernant l’établissement de corrélations entre la rapidité de progression vers le Sida, d’une part, l’ampleur des perturbations psycho-émotionnelles du séropositif et les concentrations des hormones du stress (cortisol, noradrénaline) et non-stress (mélatonine, endorphines) qui devraient les refléter, d’autre part, la littérature scientifique est étonnamment très limitée. En revanche, de très nombreux modèles animaux et humains de stress psychiques ou physiques, en aigu ou en chronique, sur des individus initialement en bonne santé, ont permis d’établir que le stress était susceptible d’induire des perturbations au niveau des messagers des trois systèmes, de conduire à des altérations du système immunitaire et même à des maladies auto-immunes. Ainsi, la séparation de jeunes singes de leur groupe provoque, en 24 heures, une chute de 80% de leurs lymphocytes T4 et T8 et un doublement de leur taux de cortisol.[9]

Concernant un modèle humain, des bilans immunitaires effectués sur des prisonniers des camps bosniaques après leur libération montrent [10] un profil semblable, bien qu’à un degré moindre, à celui des séropositifs VIH asymptomatiques (diminution du rapport T4/T8, augmentation des lymphocytes T activés, diminution de l’activité NK, augmentation du tumor necrosis factor ; en revanche, contrairement à la séropositivité VIH, l’interféron g et le cortisol sont diminués).

Concernant la séropositivité VIH, mentionnons deux études quelque peu contradictoires. L’une,[11] étudiant l’évolution du nombre de lymphocytes T4 chez les séropositifs en fonction de leurs perturbations psychoémotionnelles, établit que les séropositifs déprimés ont une chute additionnelle de T4 de 3% par an par rapport aux séropositifs non déprimés ; ce qui paraît bien faible et fait s’interroger sur la qualité de l’outil de mesure des perturbations psycho-émotionnelles. Une autre étude, destinée à préciser le rôle de l’annonce de la séropositivité sur le bilan biologique,[8] établit, grâce à un suivi journalier, une détérioration initiale rapide fortement corrélée aux b-endorphines. Le rôle bénéfique des b-endorphines dans le cas du VIH semble pouvoir être étayé d’une part par l’efficacité subjective qu’attribuent les pratiquants des médecines alternatives (80% des séropositifs y ont recours au-delà de cinq ans de séropositivité)[12] aux voies thérapeutiques non médicamenteuses (spirituelles ou corporelles) : guérison spirituelle, visualisation positive, hypnose, relaxation, yoga, massages, acupuncture, etc.[12, 13], et, d’autre part, par l’efficacité objective établie pour certaines de ces techniques d’acupuncture,[14, 15] par la relaxation contrôlée, [16] pour augmenter le taux d’endorphines et stimuler l’immunité.

L’ensemble des éléments, présentés dans cet article de manière schématique et sous forme vulgarisée, est bien sûr insuffisant pour établir de manière irréfutable le rôle majeur joué par le stress, associé à la séropositivité, dans le développement du Sida. En revanche, ils devraient être suffisants pour inciter à faire de cette voie de recherche une voie prioritaire. Une telle approche holistique, qui implique la prise en compte non seulement de la dimension psycho-émotionnelle de l’individu, mais aussi de sa dimension spirituelle, se trouve malheureusement en porte-à-faux avec la conception matérialiste athée de la maladie, que même les chercheurs croyants ont adoptée.

Drs. J. Avicenne

 

1.      C. Burgesser et al., Prog. Neuropsychopharmacol. 1993, 17, 927-937.

2.      B. S. Mc Ewen et al., Archives of internal Medicine, 1993, 153, 2093-2101.

3.      M. F. La Via et al., Recenti progessi in Medicina, 1991, 82, 637-641.

4.      Neuro-endocrinology : New frontiers. D. Gupta, H. A. Wollmann, M. B. Rank Ed., Brain Research Promotion, Tübingen, 1990.

5.      A. Conti et al., Acta med. rom. 1991, 29, 19-28.

6.      W. Pequegnat et al., Prog. Neuropsychopharmacol. & Biol. Psychiat. 1992, 16, 145-170.

7.      G. Gatti et al., Brain Behavior and Immunity 1993, 7, 16-28.

8.      T. O. Kwasa et al., East African Medical Journal, 1993, 70, 43-45.

9.      T. P. Gordon et al., Physiology & Behavior 1992, 51, 467-472.

10.    D. Dekaris et al., JAMA 1993, 270, 595-599.

11.    S. Perry et al., JAMA 1993, 270, 2609-2610.

12.    W. Anderson et al., AIDS, 1993, 7, 561-564.

13.    S. E. Barton et al., BHJ, 1989, 298, 1519-1520.

14.    M. Nirmalan et al., Ceylon Medical Journal, 1992, 37, 120-122.

15.    H.G. Kho, European Journal of Anæsthesiology, 1993, 10, 197-208.

16.    A. Mc Grady et al., Journal of Behaviorial Medicine 1992, 15, 343-354.