Approches non pharmacologiques de sevrage des utilisateurs de drogues opiacées et des thérapeutiques conventionnelles de substitution

Depuis plus de 20 ans [1], différentes tentatives scientifiques pour découvrir des voies thérapeutiques non médicamenteuses de sevrage des utilisateurs d’héroïne et d’autres drogues opiacées ont été explorées.

Malheureusement, aujourd’hui encore, seule l’approche médicamenteuse par la méthadone ou la buprénorphine (Temgésic®), utilisées à doses décroissantes, est considérée comme la seule voie efficace par les scientifiques réellement compétents en la matière. De plus, parmi ces thérapeutiques de substitution, seule la méthadone jouit, pour des raisons non uniquement scientifiques, de l’aval des ministres de la Santé des pays développés.[2] Même si la voie de la substitution médicamenteuse n’est pas idéale en elle-même, en raison de la dépendance qu’elle peut occasionner (d’ailleurs similaire à celle qu’entraînent les somnifères que des millions de personnes prennent quotidiennement), elle permet cependant, à moindre mal, que les toxicomanes appliquent les mesures de prévention (port du préservatif, pas d’échange de seringue) pour éviter l’explosion des épidémies de Sida et d’hépatites C, d’améliorer leur suivi médical, de faciliter leur réinsertion sociale et de lutter plus efficacement contre la délinquance et les trafiquants de drogue.

Les voies non médicamenteuses proposées, et utilisées à petite échelle depuis longtemps, sont l’acupuncture, l’électroacupuncture et l’électrostimulation crânienne,[3] dont les mécanismes d’action non totalement élucidés mettent en jeu les endorphines et différents neuromédiateurs.[4] Rappelons que les endorphines, substances opiacées physiologiques, reconnues d’abord comme agissant sur le seuil de la douleur, ont des actions beaucoup plus diversifiées et agissent notamment sur le comportement, le système endocrinien et le système immunitaire.[5, 6, 7, 8] Les résultats de la littérature scientifique, surtout américaine, bien que très encourageants et largement suffisants pour inciter au développement d’essais thérapeutiques à large échelle, ont eu très peu d’échos en Europe. Cette situation résulte d’une part de l’ignorance, du scepticisme touchant les traitements non médicamenteux, notamment ceux issus de pratiques millénaires chinoises, de l’absence d’intérêt financier pour les firmes pharmaceutiques, de l’absence de mécanismes suffisamment étayés, mais aussi des résultats contradictoires de la littérature scientifique. Ces contradictions résultent notamment du faible nombre de participants aux essais thérapeutiques, du fort taux de participants perdus de vue au cours des essais et de la non standardisation des procédures et des équipements (dans le cas de l’électrostimulation). De plus, la quasi-impossibilité d’utiliser la sacro-sainte méthodologie, prétendue la seule rigoureuse, du double aveugle dans de pareilles approches thérapeutiques, a permis à ses détracteurs de discréditer, à bon compte, des résultats indiscutables. Nous illustrerons par quelques exemples ces succès thérapeutiques.

Une étude de 1986 [9] sur 119 rats morphino-dépendants a comparé l’effet sur le sevrage de l’électroacupuncture, d’herbes chinoises non opiacées et dénuées d’effets secondaires (Quiang Huo, Gou Teng, Chuan Xion, Fuzi, Yan Hu Suo) et de trois peptides opiacées physiologiques (endorphine, enképhaline et dysnorphine) dont la synthèse est stimulée par acupuncture ou électroacupuncture. Des taux de réussite de 85%, 68% et 74%, respectivement, ont été observés, l’acupuncture associée aux herbes chinoises apparaissant comme la meilleure solution à retenir.

Une autre étude [10] a porté sur 14 patients hospitalisés, rendus morphino-dépendants en raison de traitements de la douleur. Après un relais par la méthadone, les patients ont subi une électroacupuncture auriculaire bilatérale stimulant la libération d’endorphines. Pour 12 des 14 patients, le sevrage a été obtenu entre 2 et 7 jours, en l’absence d’effets secondaires notables.

Enfin, un essai effectué sur moins de 10 utilisateurs de drogue, à Genève (Suisse) dans un cabinet de ville (Dr B. Vesely) et en cours d’extension à l’hôpital cantonal, est particulièrement encourageant. Les participants, sevrés dans un premier temps par la méthadone, ont subi pendant trois jours consécutifs une stimulation de la sécrétion d’endorphines par acupuncture auriculaire, parallèlement à la réduction, de moitié chaque jour, de la dose de méthadone (50 mg/jour le 1er jour d’acupuncture, 25 mg/jour le 2ème jour d’acupuncture et 12,5 mg/jour le 3ème jour d’acupuncture). De plus, les symptômes de manque (nausées, frissons, fatigue) ont été supprimés systématiquement de manière régulière pour les utilisateurs des drogues par acupression (massage des points d’acupuncture) des points 6PC, 36E, 6RT, 4VC, 6VC. Ce contrôle maintenu pendant au moins un mois garantit la réussite du sevrage partiel de la méthadone.

Dans la mesure où les traitements conventionnels de la substitution à l’héroïne (méthadone, buprénorphine) occasionnent, à des degrés divers en fonction du type et de l’ancienneté de la toxicomanie, une dépendance, un médecin (Dr G. Maurisson, Centre Médical Europe, Paris, France) avait d’ailleurs proposé d’associer de la tétrahydroaminoacridine (tacrine, Cognex®) à ces médicaments afin d’obtenir une diminution des posologies quotidiennes en méthadone ou en buprénorphine, et si possible leur sevrage.[11] La THA (tacrine), expérimentée déjà dans la démence sénile de la maladie d’Alzeihmer et dans l’infection due au virus du Sida,[12] est, en effet, un des deux plus puissants antagonistes de la morphine qui permet chez le singe [13] et chez l’homme [14] d’atténuer la dépendance à la morphine. En raison de sa totale innocuité, l’acupression est donc une autre alternative fort intéressante pour le sevrage, et en particulier pour celui des thérapeutiques médicamenteuses de substitution actuellement utilisées. De plus, parce qu’en utilisant les points LI-4, ST-36, RE-6, Ear-Spleen, elle augmente le niveau des bêta-endorphines physiologiques, le nombre des lymphocytes circulant et l’activité des cellules NK,[15] l’acupression permettrait de contrebalancer aussi l’effet immunodépresseur propre aux opiacés (morphine, méthadone) qui antagonisent complètement les récepteurs opiacés en prenant la place des endorphines endogènes. Cet effet est bien décrit avec la méthadone, soit pour des doses supérieures à 60 mg par jour,[16] soit, paradoxalement, chez des personnes infectées par le virus du Sida ayant des lymphocytes T4 en dessous de 200/mm3 [17, 18], qui reçoivent pendant plus d’un an des doses inférieures à 40 mg par jour qui, de plus, sont insuffisantes pour obtenir un effet substitutif optimal.

De pareilles expériences, et éventuellement des variantes pouvant conduire à un sevrage total, sont transposables en France et dans d’autres pays, sous réserve d’un soutien réel des pouvoirs publics ; soutien en moyens financiers, mais aussi légaux, dans l’allègement, dans ce cas particulier entre autres, des procédures lourdes et dissuasives imposées pour les essais thérapeutiques. La mise en oeuvre et la réussite de cette voie de sevrage non médicamenteux nécessitera la participation d’acupuncteurs les plus compétents et la formation de moniteurs pour l’acupression, recrutés par exemple parmi les kinésithérapeutes ou d’autres professions paramédicales. Ces moniteurs seront chargés d’apprendre aux participants à ces essais les points d’acupression retenus pour ce protocole.

Dans l’immédiat, les membres du corps médical, et les personnes qui seraient intéressées par cette nouvelle technique, sont invitées à contacter par courrier l’association POSITIFS.

 

Pr Gian Siao, Chef de Clinique de Gynécologie du 1er Peuple de Canton, Chine
Dr A. Caprani, Directeur de Recherche au C.N.R.S Expert à l’INSERM, France
Drs J. Avicenne, Conseillers médicaux de POSITIFS

 

1.      Wren H. L. et Cheung S.Y.C.L,Treatment of drug addiction by acupuncture and electrical stimulation. Asian Journal of Medicine. 1973, 9, 138.

2.      Avicenne J., Méthadone et défenses immunitaires. Comment limiter l’épidémie de Sida et d’hépatite C. N’oublions pas le Temgésic ! Sida Tout Va Bien. 1993, Suppl. 15, 7-8.

3.      Alling F. A., Johnsons B. D. et Elmoghazy E., Cranial electrostimulation use in the detoxification of opiate-dependent patients. Journal of Substance abuse treatment. 1990, 7,173-180.

4.      Ternenius L., Biochemical mediators of pain. Triangle, 1981, 20, 9. 25.

5.      Omura Y., Connections found between each meridian and organ représentation in each side of the cerebral cortex : release of common neuro-transmitters and hormones, unique to each meridian and corresponding acupuncture point and internal organ after acupuncture, electrical stimulation, mechanical stimulation, soft laser stimulation or Qi Gong. Acupuncture and Electro-therapeutics Research 1989, 14(2), 155-186.

6.      Avicenne J. , Stress et Sida. Quels liens. Sida Tout Va Bien. 1994, Suppl. 17, 4-6.

7.      Quo Vadis ? Neuropeptides. Montpellier, 8 – 9 Mai 1980. Centre de Recherche Clin Midy. J. P. Muyard et R. Roncucci Ed.

8.      Gatti G., Brain behaviour and immunity. 1993, 7, 16-28.

9.      Yang M. M. P. et Kwok J. S. L., Evaluation on the treatment of morphine addiction by acupuncture, chinese herbs and opioid peptides. American Journal of Chinese Medicine 1986, 16 (1-2) 46-50.

10.    Kroening R. J. et Oleson T. D., Rapid narcotic detoxification in chronic pain patients treated with auricular electro-acupuncture and naloxone. International Journal of the Addictions. 1985, 20 (9), 1347 1360.

11.    Avicenne J., THA, Alzheimer, Sida puis Toxicomanie. Sida Tout Va Bien. 1994, 17, 2.

12.    Fredj G., Open trial of tacrine therapy in 70 HIV-infected patient. Int. J. Clin. Pharma. Ther. and Toxic. 1992, 30 (9), 313 316.

13.    Albin M. S., Tetrahydroaminoacridine antagonism to narcotic addiction. Exp. Neurol. 1975, 46 (3), 644-648.

14.    Stone V., Treatment of intractable pain with morphin and tetrahydroaminoacridine. Br. med. J. 1961, 1, 471-473.

15.    Wang J-L., Using chinese herbs and acupuncture to treat HIV/AIDS : an analysis of 201 cases. Being alive. 1994, 1, 6-7.

16.    Nahas G., Les drogues de substitution dans la toxicomanie. 1993, Concours Médical, 115 (19), 1578-1580.

17.    Sahs J., Effect of methadone use on immunological parameters in HIV positive and HIV negative drug users. Amsterdam, 19-24 july, 1992. VIIIth Int. Conf. on AIDS, C4557.

18.    Zaccarelli M., Progression to AIDS among injecting-drug users in Rome. Berlin, June 6 11 1993. IXth Int. Conf. on AIDS, C2940.