En quelques jours, la « tri-thérapie » est devenue le traitement du Sida. L’information a été traitée et véhiculée de telle façon que, du jour au lendemain, cela fut le sujet de conversation de tout le monde, même de personnes qui continuaient de vivre comme si le Sida ne devait pas les concerner !

Tout aurait commencé à l’occasion du congrès de Washington (29-31/01/96). En fait, cela n’est pas tout à fait exact, puisque l’association d’un inhibiteur de protéase avec deux inhibiteurs de la reverse transcriptase avait fait l’objet d’une première publication de résultats intéressants qui furent transmis à la presse en France le 24/11/95 dans un communiqué du Pr Leibowitch (cf. STVB 23, page 2 pour plus de détails). Faut-il en déduire que ce qui est publié par des chercheurs français aurait moins de poids que ce qui est publié par leurs homologues américains, ou que la puissance des grandes firmes pharmaceutiques leur permettrait, à leur convenance, de porter une information à la une des journaux ?

Il faut cependant convenir que Washington fut l’occasion de présenter les résultats de plusieurs études concernant ces tri-thérapies. Ce fut notamment le cas de celle avec le ritonavir (Norvir®, Abott) qui a été ajouté (ou non) à la mono ou bi-thérapie de personnes ayant moins de 50 T4/mm3 et où, en plus de la réduction de la charge virale (certes modeste et peu durable semble-t-il) et du gain de 50 T4/mm3 au 4ème mois, il a été démontré en plus une efficacité en termes de réduction de la mortalité et du nombre d’infections opportunistes (58% à près de 7 mois). Deux autres études semblent indiquer que l’adjonction d’un inhibiteur de protéase serait plus efficace sur la charge virale que lorsque les deux autres médicaments associés (AZT, ddI, ddC, 3TC ou D4T) sont introduits chez une personne. Ainsi, l’étude de Leibowitch et coll. (AZT + ddC + ritonavir) montre que le pourcentage de charges virales indétectables passe, du 6ème au 9ème mois, de 25 à 30% (les T4 se maintiennent à 313 ; ils étaient passés de 156 à 292 sur les six premiers mois). Une autre étude a trouvé une charge virale indétectable chez 86% de personnes ayant associé de l’AZT, du 3TC (ou du ddI) et un autre inhibiteur de protéase, l’indinavir (Crixivan®, Merck).

Mais ne faut-il pas s’interroger sur la manière dont a été orchestrée l’annonce de ces résultats ? À peine publiés, on annonçait que ces traitements prometteurs ne seraient disponibles en France que pour certaines personnes, et qu’elles seraient désignées par un tirage au sort ! Quelques jours après, en raison du tollé des associations, de certains représentants du ministère de la Santé et du public, en réponse à l’annonce de cette intolérable roulette russe, on apprenait que les tri-thérapies seraient accessibles de façon plus humaine : personnes ayant moins de 100 T4/mm3 (il y en aurait 18 000 en France) ou présentant des symptômes (estimation inconnue). Ne s’agit-il pas, en fait, d’une stratégie de marketing orchestrée par les laboratoires pharmaceutiques pour obliger le ministère de la Santé à s’engager financièrement et sans tarder, au risque de se mettre à dos l’opinion publique. Obtenir que des traitements soient accessibles plus rapidement pour les personnes est certes positif. Mais on peut se demander : pourquoi une telle stratégie ne s’applique-t-elle pas à d’autres voies de traitement ? De plus, n’aurait-il pas été prudent d’attendre encore quelques mois avant que ne soit décidée l’obtention aussi massive de ces traitements (10 000 places entre avril et décembre 96) ? Faut-il rappeler que ces études ont été réalisées sur 6, 7 et 9 mois ? Des effets secondaires décrits récemment (2 décès par arrêt cardiaque, qui seraient dus à des interactions du ritonavir avec d’autres médicaments) nous le font penser. Depuis plusieurs années, nous avons répété qu’il serait souhaitable et réaliste d’accélérer l’étude de nombreuses voies de traitement ,et sans se limiter aux axes officiels de la recherche et aux pressions des laboratoires. Aujourd’hui, il semble donc que l’on ait grillé des étapes essentielles qui, pourtant, n’auraient nécessité que quelques mois d’attente.

Ainsi que nous l’avions mentionné dans le numéro de Sida Tout Va Bien (STVB N° 23), les tri-thérapies semblent des voies intéressantes. Le retard pris ces dernières années pour les évaluer a été partiellement rattrapé en grillant des étapes fondamentales (études de toxicologie et recul suffisant). Les tri-thérapies ne doivent cependant pas être une fin en soi. Nous pensons qu’il faut associer d’autres médicaments et continuer de pister toutes voies de traitement (pour plus de précisions, se reporter à STVB N° 23).

Drs. J. Avicenne